Klarheit à Berlin


Une exposition-installation de Taisa Nasser, artiste contemporaine.

Mai 2013.

Raviver la lumière en soi, ouvrir les yeux de l'âme et partir pour un voyage intérieur, pour plus tard traverser les frontières du rêve vers la réalité et revenir au monde en état de catharsis...

Voilà l'expérience de la magistrale exposition-installation Klarheit de Taisa Nasser : un instant sublimé, une communion avec le spectateur. Berlin est l'écrin où brille l'optimisme, celui qui émerge des plus profondes réflexions d'une femme, artiste contemporaine et architecte, qui, à la manière d'une alchimiste, éveille la curiosité et ouvre les portes de la perception. La poésie picturale de ses peintures associée à un film qui nous révèle plus profondément l'univers de l'artiste nous offre un billet vers les cimes de l'espoir.

L'art post-expressionniste de Taisa est sculpté à base d'empâtements, de couleurs qui prennent forme, comme des corps faits de matière et d'énergie possédant chacun leur propre individualité, des monades toujours agencées avec harmonie. C'est ce qui fait sa poésie picturale, une sorte d'équation qui résout  ou traduit la substance dans sa métamorphose. C'est un jeu qui, loin d'enfermer un secret, propose d'entrer dans le labyrinthe du continu, où le rythme trouve un lieu habitable, condition indispensable pour l'emplacement de ces monades. Ainsi, leur agencement fait penser à une suite de notes jouant une mélodie qui guide vers soi, qui promet de faire tressaillir les sens à la lisière des émotions, sur un point où se distingue le zénith de l'infini. Or, de temps en temps, cette musique picturale s'approche de ce point auparavant imprécis, ce point qui touche et agite les ailes d'un ange assis sur une île du ciel. N'est-ce pas ça « la volonté de puissance » ou « l'aspiration à l'absolu » ?

Il suffit d'un clin d’œil pour élargir la perception : Comme dans un kaléidoscope, la lecture de l'ensemble dans chacune des œuvres est la rencontre simultanée des intervalles harmoniques ainsi que leur superposition. C'est l'identification des monades formant une totalité. Pourtant, s'attarder sur les détails ouvre des nouvelles possibilités à l’œil, à l'inconscient. Le regard suit la série des corps de couleur, de ces monades qui, telles l'émission successive de notes, assurent l'existence d'un monde et puis d'un autre, ne s'arrêtant pas avant d'avoir saisi encore la réalisation entière de sa totalité.

Dans les monades qui s’égrènent l'une après l'autre, gardant leur unité dans un infini de couleurs,  jusqu'à ressentir leur totalité dans une mélodie, réside la magie de la peinture poétique de Taisa. Son message est humain et clair comme le reflet d'un miroir. Son œuvre en général possède une écriture à lire de monade en monade, de note en note, jusqu'à former un « tout ». L'un des secrets de son art devient notre propre reflet, et c'est dans ce miroir que l'on trouve l'état de réflexion, de joie et d'optimisme de l'artiste et d'autres hommes et femmes qui se sont présentés dans sa vie. Soudain, « Klarheit » nous appartient comme une expérience chargée de connaissances et de réflexions fondées sur la psychologie, la philosophie, le vécu, voire l'alchimie, tandis que son propos est naturellement une expérience humaine d'espoir et de liberté.

Comment nier que l'on est tenté de franchir le pas, d'aller et de parcourir ce dialogue entre l'art et d'autre savoirs ? On fait le tour des sensations ; la conscience s’élargit et se renouvelle telle le phénix qui renaît de ses cendres. On se retrouve alors avec « soi », submergé dans les formes des couleurs, comme dans une vaste mer de connaissance, de vécu, voire d'identité. Le mouvement nous absorbe au délicieux rythme de notre respiration, il nous berce, on inspire vigoureusement pour expirer un poème inconnu qui tente d’écraser l'absurde. On devient des traducteurs de ce poème, de ce que ressentent le corps et l'esprit. Devant le baiser tendre et suave de l'artiste, il n'y a pas de doute, c'est une humaniste qui dialogue tout en douceur avec le public, qui écoute, propose, et se questionne : Klarheit, l'homme aujourd'hui.

« Jusqu'à quand l'humanité pourra-t-elle vivre sans lucidité, sans équilibre entre le corps et la raison, l'ombre et la lumière, la matière et l'esprit ? »

Klarheit de Taisa Nasser est un essai d'extériorité qui émerge de l'intérieur, peut-être d'un coin intime de l'inconscient, et qui s'adresse au conscient. L'artiste n’oublie pas la poésie : un monde se réinvente avec elle, d'une façon presque mystique. Taisa Nasser affirme sa place sur la scène artistique, mais va au-delà de la peinture : Elle nous montre comment libérer la liberté. Par l'alchimie de cet état d'esprit, elle revendique sa présence comme artiste contemporaine grâce au film « Klarheit », non seulement comme composante de l'installation, mais aussi comme le monde qu'on vit et dont on parle.

Le film fait en collaboration avec le réalisateur Miguel Cianca vise à exprimer l'argument de l'artiste mais va plus loin : On entend sa voix dans deux magnifiques poésies écrites par elle qui ouvrent et ferment comme des parenthèses son univers si riche de sens. Le film nous rapproche assurément de concepts de grand valeur : couleur, mouvement, matière, énergie ; cependant chaque détail est mis en valeur par d'autres disciplines artistiques telles que la danse et le théâtre, interprétés notamment par Pyrène Hertz et Étienne Beydon, ainsi que par l'art-vidéo de Juan Carlos Poblete dans l'introduction. La musique composée par Nadir Nur Ashki Al Yerrahi et Miguel Cianca établit un lien entre les deux polarités, l'esprit et la raison. Chaque élément trouve sa place dans le dialogue de Taisa, et sa présence comme architecte se manifeste elle aussi à travers le thème de l'espace : on l’aperçoit dans chaque tableau, dans chaque détail, dans la danse, dans les paysages, toujours en mouvement, mais toujours dans ce jeu qui consiste à donner un rythme : l'ordre du mouvement.

Une fois qu'on l'a pénétré, l'univers de Taisa Nasser nous ramène sur terre en état de catharsis. C'est un phénomène assez curieux lorsque le spectateur quitte sa place pour prendre celle d'un acteur qui fait partie de « Klarheit », celle d'un autre corps qui émerge de ce monde. Parmi les spectateurs, plusieurs prennent plaisir à se faire photographier devant l'une des peintures, comme ils le feraient devant un monument, peut-être pour s'assurer qu'ils sont là et maintenant.

Les bruits de l'installation continuent de résonner dans Berlin, les images du film et des peintures sont dans ses rétines, et l'alchimie de cet extraordinaire expérience s'inscrit dans une poésie qui nous appartient à tous, signée par Taisa Nasser.

Simon d'Ailleurs

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